Artcirq : une exploration des entre-deux l'art circassien sur la piste des parcours identitaires de jeunes inuit d'Igloolik

Lemaire, Andréanne (2019). « Artcirq : une exploration des entre-deux l'art circassien sur la piste des parcours identitaires de jeunes inuit d'Igloolik » Thèse. Montréal (Québec, Canada), Université du Québec à Montréal, Doctorat en psychologie.

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Résumé

Les populations de l'Inuit Nunangat font face à une véritable crise de santé publique quant au suicide, qui touche particulièrement les jeunes inuit. Or, les services de santé mentale sont quasi inexistants dans ces régions et leur capacité à répondre aux besoins locaux est critiquée. La santé mentale, déterminée comme priorité de la santé par Inuit Tapiriit Kanatami, se définit dans une vision holistique pour les Inuit : elle inclut la fierté culturelle, la famille et la collectivité, ainsi que des déterminants sociaux qui sont touchés par des inégalités importantes avec le reste du Canada. En effet, les Inuit ont connu des transformations extrêmement rapides sur le plan culturel et social avec la colonisation, ce qui crée un contexte social ébranlé dans lequel les jeunes doivent naviguer dans un « entre-deux » de mondes difficiles à concilier. On répertorie plusieurs initiatives communautaires qui incorporent les traditions locales afin de favoriser une « reconnexion » culturelle pour les jeunes inuit d'aujourd'hui. Toutefois, on en sait peu sur les effets de tels projets, et encore moins sur l'expérience subjective des jeunes inuit qui y naviguent. Sont-ils attirés par de telles programmations? Comment arrivent-ils à « vivre une vie vibrante en tant que jeune inuit aujourd'hui » (Annahatak, 2014)? Partant de ces questionnements, nous nous sommes intéressée à un collectif de cirque (Artcirq) situé à Igloolik, Nunavut. Le collectif se définit par la rencontre entre traditions inuit et modernité et est né pour offrir un espace d'expression attirant pour les jeunes, comme alternative à « broyer du noir chez eux ». Ainsi, l'objectif central de cette thèse est de mieux comprendre l'expérience subjective de jeunes inuit impliqués dans Artcirq. Plus particulièrement, nous désirons explorer en quoi cet espace participe à leur mieux-être, ainsi que la façon dont ces jeunes donnent sens à l'intégration de traditions dans cet espace. Le processus de thèse allie donc deux angles, soit : l'expérience subjective des jeunes inuit impliqués au sein du collectif Artcirq ; ainsi que les « ingrédients » de ce projet communautaire qui soutiennent ces expériences. Notre démarche s'inscrit dans une perspective interdisciplinaire : la méthodologie qui sous-tend notre processus de recherche se trouve à l'intersection de perspectives empruntées à la psychologie, l'anthropologie et la sociologie. En effet, notre posture s'inspire en partie de la psychologie humaniste, qui nous amène d'une part à nous intéresser à l'expérience subjective des membres d'Artcirq, par une analyse inspirée de la phénoménologie interprétative. Elle s'allie à des perspectives empruntées à l'ethnographie et la sociologie, qui nous amènent à contextualiser l'expérience de ces jeunes en nous intéressant à des points de vue de divers acteurs, ainsi qu'en ancrant ces expériences dans leur contexte actuel ainsi qu'historique. Pour recueillir les données, nous avons effectué deux terrains ethnographiques pour une durée totale de quatre mois. Les données sont constituées de récits provenant d'entrevues formelles avec huit participants, regroupant des membres d'Artcirq ainsi que des acteurs extérieurs ; de notes de terrain rapportant des discussions informelles, des observations et des réflexions quant à notre propre participation ; ainsi que de données provenant de courts-métrages, d'entrevues faites auprès d'aînés de la communauté, etc. Les données « hors entrevue » ont servi à nourrir notre analyse tout au long du processus et appuyer par une triangulation celles recueillies en entrevue. Le processus de recherche est présenté en deux temps, soit : 1) une réflexion dont le point de départ est théorique, puis 2) une incursion dans les expériences subjectives des participants. Ces démarches sont présentées par le biais de deux articles. Le premier, qui s'intitule Dans le Black Box d'Igloolik : le cirque comme espace thérapeutique pour de jeunes inuit?, développe une conceptualisation sur le cirque comme espace thérapeutique, en faisant dialoguer la littérature et certaines observations de notre premier terrain. Par le biais de cet article, nous esquissons une compréhension de l'apport potentiel de l'art pour les jeunes inuit dans leur négociation identitaire. Cette négociation s'articule dans un contexte où un sentiment de pertes associé à leur culture ainsi qu'une détresse sont des réalités partagées par plusieurs jeunes. Cette détresse se manifeste entre autres par les hauts taux de suicide dans les communautés. Nous abordons d'abord la problématique du suicide à partir des notions d'identité, de rupture et de continuité. Nous élaborons à partir de cette compréhension la possibilité d'envisager autrement les services dans le domaine de la santé et des services sociaux. Puis le concept central de « tradition » est exploré, en tant que mouvance et hybridité. À partir des exemples issus du BlackBox, lieu d'entraînement des membres d'Artcirq, nous élaborons l'idée de l'art en tant que vecteur de continuité culturelle. Finalement, les implications thérapeutiques de la réflexion sont élaborées à l'aide du concept théorique de « l'espace potentiel » de Winnicott (1975), ce qui est illustré par des propos de membres d'Artcirq concernant l'apport bénéfique du collectif lors d'événements de vie éprouvants. Le second article, intitulé Exister, appartenir et transmettre : Artcirq comme espace de mieux-être pour les jeunes inuit d'Igloolik, dévoile les résultats qui se rapportent au premier objectif de recherche. Pour ce faire, les récits des participants ont été analysés en s'inspirant de la phénoménologie interprétative. Nos analyses nous amènent à décrire trois dimensions centrales à l'expérience des jeunes, relativement à Artcirq comme espace : 1) où reconnaître et développer ses forces ; 2) où se lier et appartenir et 3) où vivre sa culture inuit et la transmettre. D'abord, l'analyse suggère qu'Artcirq apparaît comme un espace qui permet des expériences de dépassement de soi, d'accomplissement, liées à des sentiments de compétence et de confiance en soi. Les sentiments d'accomplissement apparaissent liés à la fois au plan physique et psychologique (développement d'habiletés physiques et dépassement d'une timidité), et s'accompagnent du sentiment d'avoir une place et une voix au sein du groupe. Ensuite, les relations au sein du groupe lui-même, dans ce qu'il offre de protecteur et de sentiment d'appartenance, est l'élément qui apparait comme le plus prégnant dans l'expérience de tous les participants. En effet, se lier aux autres ressort d'abord comme un incitatif à l'engagement initial dans le projet. L'importance d'un lien d'appartenance a émergé également comme ingrédient principal de la poursuite de cet engagement, de par le sentiment d'avoir trouvé une « famille » chez les participants impliqués depuis plus longtemps. Nos résultats nous amènent à comprendre l'apport du groupe comme ingrédient essentiel pour permettre les autres types d'expériences (accomplissement, confiance en soi, clarté identitaire personnelle et culturelle) vécues au sein d'Artcirq. Par exemple, l'accueil du groupe et le sentiment d'être en lien semblent effectivement offrir un filet protecteur pour essayer de nouveaux défis et expérimenter sa culture « avec d'autres inuit ». Finalement, les aspects des « traditions » inuit dans Artcirq auraient une importance certaine pour les membres impliqués depuis une dizaine d'années, qui nous en parlaient d'eux-mêmes en racontant leur expérience d'Artcirq. Artcirq représenterait un espace d'exploration de la culture inuit, incluant la possibilité de la « vivre pleinement » et de la transmettre à une audience. Le fait d'agir au niveau de la représentation « d'être Inuit » par le biais du spectacle apparaît lié à un approfondissement de l'appropriation de cette appartenance. Nous soulignons la portée de ces expériences d'auto-détermination dans le contexte post-colonial, où mettre de l'avant l'identité inuit est parfois une entreprise risquée et non sécuritaire. En conclusion, cette thèse souligne la valeur d'une démarche de recherche interdisciplinaire qui emprunte à l'anthropologie et à la psychologie pour explorer les vécus subjectifs de jeunes inuit au sein d'un espace communautaire utilisant les arts du cirque comme moyen d'expression et de découverte de soi. Au sein de la discipline de la psychologie, cette étude se démarque des autres travaux de recherche pour la façon dont elle explore le vécu subjectif des jeunes inuit, dans son contexte local, culturel, historique et politique. Nos résultats nous amènent à penser le thérapeutique hors du champ de psychothérapie conventionnel occidental, et contribuent aux connaissances sur l'apport du cirque social dans des populations où les services de santé mentale sont peu accessibles. En ce qui a trait à la littérature sur la prévention du suicide et le bien-être inuit, individuel et collectif, cette thèse apporte un angle peu exploré de par son approche phénoménologique. En effet, ce travail de recherche met en lumière les perspectives de jeunes sur leur propre parcours au sein d'un projet communautaire qui agit dans une optique de prévention du suicide. Plus particulièrement, nos résultats offrent une image des jeunes actifs dans leur communauté, qui participent au processus de transmission des traditions et d'une fierté inuit, alors que cette transmission est généralement abordée sous un angle où les aînés sont les acteurs principaux. Aussi, l'expression par les arts ressort comme un élément participant à la fierté individuelle et collective des jeunes, de par l'opportunité d'avoir une visibilité positive au sein des autres collectivités inuit ainsi qu'à l'international. Les réflexions finales, qui répondent à des questions ayant émergé au cours du processus de recherche quant à la pérennité du projet, mettent en lumière des enjeux de la recherche et de l'intervention en contexte inuit et autochtone peu abordés dans la littérature. Les paradoxes des discours sur la mobilisation, ainsi que les tensions liées au désir de collaboration et de faciliter l'appropriation et l'auto-détermination dans des communautés minoritaires sont notamment discutés. _____________________________________________________________________________ MOTS-CLÉS DE L’AUTEUR : Jeunes inuit, traditions, créativité, espace potentiel, prévention du suicide, psychologie, ethnographie.

Type: Thèse ou essai doctoral accepté
Informations complémentaires: La thèse a été numérisée telle que transmise par l'auteur.
Directeur de thèse: Vachon, Mélanie
Mots-clés ou Sujets: Art-thérapie pour la jeunesse / Cirque / Jeunesse inuite / Inuits / Traditions populaires / Prévention du suicide / Igloolik (Nunavut) / Psychologie et anthropologie
Unité d'appartenance: Faculté des sciences humaines > Département de psychologie
Déposé par: Service des bibliothèques
Date de dépôt: 12 févr. 2020 12:52
Dernière modification: 17 avr. 2023 15:04
Adresse URL : http://archipel.uqam.ca/id/eprint/13255

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