L'esprit de l'abîme : écriture de l'intériorité et pensées diaboliques chez Georges Bernanos et Marcel Jouhandeau

Hervé, Martin (2022). « L'esprit de l'abîme : écriture de l'intériorité et pensées diaboliques chez Georges Bernanos et Marcel Jouhandeau » Thèse. Montréal (Québec, Canada), Université du Québec à Montréal, Doctorat en études littéraires.

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Résumé

Si la question du diable en littérature a pu autrefois être posée, il s’avère que le XXe siècle était très rarement concerné par une telle question. Cette thèse part de ce constat pour examiner la façon dont le diable persiste à titre de figure ou de topos littéraire durant l’entre-deux-guerres en France, bien qu’en se voyant attribuer une fonction de plus en plus déterminée : celle d’être un authentique paradigme de l’intériorité. Notre hypothèse est que le démon traduirait de façon privilégiée le rapport du sujet moderne à la vie intérieure, au moment où celle-ci s’apparente davantage à une énigme, voire parfois à un abîme, alors qu’elle est paradoxalement à l’époque l’objet de multiples investigations scientifiques, philosophiques et esthétiques. Mais la traduire comment ? Et dans quel but ? Afin d’y répondre, nous proposons de mettre en regard deux oeuvres fictionnelles de la première moitié du XXe siècle qui nous apparaissent les plus représentatives de ce paradigme : celle de Georges Bernanos (1888-1948) et celle de Marcel Jouhandeau (1888-1979). Écrivains catholiques, prosateurs de la vie intérieure, tous deux passent par le diable pour conférer à une littérature de plus en plus psychologique une autre fin qu’elle-même. Leurs textes mettent en jeu le diabolique comme une épreuve vertigineuse qu’un sujet peut faire de lui-même, que ce soit pour s’en horrifier ou s’en délecter. À partir des enseignements de la psychanalyse, notre travail invite ainsi à considérer comment écrire sur le démon implique une théorie du sujet qui s’appuie sur une poétique inédite de l’intériorité. Pour ce faire, notre thèse s’organise en deux parties complémentaires. La première partie est construite comme une traversée des références et des modalités du diabolique dans l’histoire occidentale des idées et de la littérature. Par une démonstration fonctionnant au moyen de coups de sonde spécifiques, nous entendons vérifier l’hypothèse que le diable a pu permettre de donner corps à la part insondable de la subjectivité pensante et affective, tout en cherchant à rendre droit à ses liens particuliers avec le champ de la parole et de l’écriture. Il nous est alors possible de constater que le diable est, d’une part, incontestablement partie prenante d’une littérature de plus en plus sensible à la négativité intrinsèque de l’individu et, d’autre part, qu’il gagne, au début du XXe siècle, un potentiel accru de lisibilité et d’étrangeté. Cette première partie se clôture par une analyse en diptyque des textes clefs de la psychanalyse en rapport avec le problème du diabolique, soit l’étude Une névrose diabolique au XVIIe siècle (1923), de Sigmund Freud, et la nouvelle de Jacques Cazotte, Le diable amoureux (1776), que Jacques Lacan met au centre de sa conceptualisation dialectique du désir. De l’interprétation de ces textes se dégage un angle de lecture théorique original, relatif aux liens entre le psychisme, le désir et le diable, qui nous sert à nous orienter dans la suite de ce travail. La deuxième partie de la thèse fait se succéder une étude des fictions de Bernanos et de Jouhandeau. À travers Sous le soleil de Satan (1926), L’imposture (1927) et Monsieur Ouine (1943-1946), nous tâchons dans un premier temps de montrer que le roman bernanosien est le lieu d’un drame subjectif dont le démon fournit la clef. L’angoisse, et même parfois la haine, y deviennent les signes d’un rapport irrésistible et ambigu à la pensée et à la parole, où ce sont les limites du sujet et du monde qui s’avèrent perpétuellement menacées de disparaître. Concernant Jouhandeau, notre choix s’est arrêté sur les récits de Monsieur Godeau intime (1926), Azaël (écrit en 1927) et Chronique d’une passion (1944) dans le but de montrer comment le diabolique est pour lui un véritable pôle d’identification. C’est lorsqu’il se représente lui-même comme un démon que l’écrivain entend renverser la négation théologique de son homosexualité en une manière d’esthétiser l’existence. Tenant d’une opération de chiffrage et de mystification, l’écriture jouhandélienne aspire à faire de l’univers intérieur le site d’une jouissance, qui finit néanmoins par devenir la proie de ses propres effets imaginaires. En rapprochant Bernanos et Jouhandeau, cette thèse défend en définitive une réflexion critique dont les conséquences principales se déploient sur deux axes : 1) La question de l’intériorité et du diable suppose, de la part de ces deux écrivains, une conception de la littérature à la croisée de la morale et de l’esthétique, où c’est l’hypothèse même de sa transitivité qui se trouve mise en jeu. Écrire revient dans leur cas à assimiler la littérature à une opération presque surnaturelle, pensée comme susceptible d’atteindre la part la plus réservée et intime de leur lecteur. 2) La mise en regard de leurs oeuvres nous invite à réévaluer une articulation théorique posée par la psychanalyse entre la névrose obsessionnelle et la perversion, où le motif de l’homosexualité joue un rôle central. À partir du savoir que les textes littéraires anticipent et réélaborent à ce sujet, force est de reconnaître que l’écriture de l’intériorité ne s’invente qu’à la jonction de l’angoisse et de la jouissance, et par conséquent de l’esprit et du corps ― là où un abîme paraît toujours proche de s’ouvrir. _____________________________________________________________________________ MOTS-CLÉS DE L’AUTEUR : Georges Bernanos, Marcel Jouhandeau, diable intériorité, subjectivité, perversion, obsession, psychanalyse, homosexualité, littérature française

Type: Thèse ou essai doctoral accepté
Informations complémentaires: Fichier numérique reçu et enrichi en format PDF/A.
Directeur de thèse: Lussier, Alexis
Mots-clés ou Sujets: Georges Bernanos / Marcel Jouhandeau / Démon dans la littérature / Conscience dans la littérature / Psychanalyse et littérature
Unité d'appartenance: Faculté des arts > Département d'études littéraires
Déposé par: Service des bibliothèques
Date de dépôt: 25 nov. 2022 14:59
Dernière modification: 25 nov. 2022 14:59
Adresse URL : http://archipel.uqam.ca/id/eprint/16185

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