Le voile islamique et les orientations d'acculturation des francophones du Québec

El-Geledi Annaami, Shaha (2010). « Le voile islamique et les orientations d'acculturation des francophones du Québec » Thèse. Montréal (Québec, Canada), Université du Québec à Montréal, Doctorat en psychologie.

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Résumé

Dans les villes multiculturelles où les membres des communautés d'accueil et les immigrants se côtoient quotidiennement, les différents groupes ethnoculturels doivent s'adapter les uns aux autres. L'acculturation renvoie au processus d'adaptation bidirectionnel qui implique un contact direct et soutenu entre des groupes ethnoculturels et qui engendre des changements chez les groupes impliqués (Redfield, Linton, & Herskovits, 1936). Le Modèle d'acculturation interactif (MAI) a été proposé afin de mieux rendre compte des relations entre les immigrants et les membres de la majorité d'accueil en fonction de leurs orientations d'acculturation respectives (Bourhis, Moïse, Perreault, & Senécal, 1997). Les orientations d'acculturation sont une combinaison d'attitudes, de croyances et d'intentions de comportement qui guide les façons de penser et d'agir des individus. Celte thèse se concentre sur les orientations d'acculturation de la communauté d'accueil. Selon le MAI, les membres de la majorité d'accueil peuvent endosser les six orientations d'acculturation suivantes à l'égard des immigrants: l'individualisme, l'intégrationnisme, l'intégrationnisme de transformation, l'assimilationnisme, le ségrégationnisme et l'exclusionnisme. Depuis la conception du MAI, toutes les études mesurant les orientations d'acculturation de la communauté d'accueil à l'aide de l'Échelle d'acculturation de la communauté d'accueil (ÉACA) ont été menées par des expérimentateurs qui appartenaient au même groupe ethnique que celui des participants, donc, dans un cadre intragroupe. Dans ces circonstances, un postulat fondamental du MAI a été développé selon lequel les orientations d'acculturation sont plus stables et sont plus profondément intégrées cognitivement que des attitudes intergroupes qui sont moins stables (Bourhis, Montreuil, Barrette, & Montaruli, 2009). Cependant, aucune étude jusqu'à présent n'a testé ce postulat de base en manipulant les groupes d'appartenance de l'expérimentateur. L'objectif principal de cette thèse est d'utiliser le voile islamique pour tester ce postulat. Plus spécifiquement, la thèse est composée de deux articles empiriques traitant de deux études de laboratoire et d'une étude de terrain pour tester l'impact du hijab (voile islamique couvrant les cheveux seulement) et du niqab (voile islamique intégral couvrant le visage entier sauf les yeux) sur les attitudes ethniques, le comportement d'aide et les orientations d'acculturations des étudiants québécois francophones envers des immigrants arabes musulmans. Depuis les attentats terroristes à New York et Washington en septembre 2001 par des Arabes musulmans fondamentalistes, les Arabes musulmans subissent une couverture médiatique négative ainsi que des attitudes défavorables de la part de majorités d'accueil à travers les pays occidentaux (Antonius, 2002). De plus, les femmes musulmanes qui portent le voile islamique sont devenues des victimes d'attitudes et de comportements négatifs dans les pays de l'Union Européenne (UE; Allen & Nielsen, 2002). Le voile islamique est devenu la cible des débats sur l'intégration des immigrants non seulement dans l'UE, mais aussi au Canada et spécialement dans la province de Québec. Ainsi, avant de tester l'impact du voile islamique sur les attitudes et orientations d'acculturation des Québécois, il a été nécessaire d'évaluer les attitudes envers le hijab et le niqab comparativement à d'autres types d'habillement. La première étude avait donc comme objectif d'examiner les attitudes des Québécois francophones envers différents types d'habillement. Des étudiants québécois francophones (N=76) ont complété des questionnaires contenant des photos d'une femme portant une tenue occidentale, d'une sœur catholique, d'une femme portant le hijab et d'une femme portant le niqab. Les résultats ont démontré que les participants avaient les attitudes les moins favorables envers la femme portant le niqab, suivi par la sœur catholique et la femme portant le hijab, tandis qu'ils avaient les attitudes les plus favorables envers la femme portant la tenue occidentale. La deuxième étude a manipulé l'habillement religieux et l'ethnicité dans une expérimentation en classe afin de tester la stabilité des orientations d'acculturation comparativement à celle des attitudes ethniques envers des immigrants arabes musulmans. Des étudiants québécois francophones (N=345) ont complété l'ÉACA ainsi que des mesures attitudinales envers des immigrants arabes musulmans. La même expérimentatrice a distribué les questionnaires dans les quatre conditions expérimentales suivantes: 1) condition contrôle avec expérimentatrice portant une tenue occidentale et déclarant un nom franco-québécois (n = 86); 2) expérimentatrice portant une tenue occidentale et déclarant un nom arabe musulman (n = 83); 3) expérimentatrice portant le hijab et déclarant un nom arabe musulman (n = 81); 4) expérimentatrice portant le niqab et déclarant un nom arabe musulman (n = 95). Les résultats ont démontré qu'aucune des orientations d'acculturation n'a varié selon les conditions expérimentales, à l'exception de l'orientation individualiste. Contrairement aux résultats attendus, les Québécois francophones avaient des attitudes plus favorables envers les immigrants arabes musulmans lorsque l'expérimentatrice portait le niqab que lorsqu'elle portait un habillement occidental avec un nom québécois francophone. Ces résultats peuvent être en partie expliqués par l'effet de contre-stéréotype. L'étude 1 a démontré que les Québécois francophones perçoivent les femmes qui portent le niqab comme étant plus passives et moins intelligentes et compétentes que les femmes qui portent un habillement occidental. Par contre, l'expérimentatrice portant le niqab dans l'étude 2 était une femme éduquée, compétente et qui parlait bien le français. L'écart entre les stéréotypes négatifs dominants des femmes qui portent le niqab et celui de l'expérimentatrice compétente qui était physiquement en leur présence peut avoir mené les participants à avoir des attitudes moins négatives envers les immigrants arabes musulmans en général. En ligne avec ces résultats, des études ont démontré qu'être exposé à des leaders de groupes minoritaires et à des femmes scientifiques était suffisant pour réduire les stéréotypes et préjugés automatiques mesurés par des tests implicites (Dasgupta & Asgari, 2004; Dasgupta & Greenwald, 2001). La troisième étude de la thèse avait comme objectif de vérifier l'effet du voile islamique sur la stabilité des orientations d'acculturation, ainsi que le comportement d'aide des Québécois francophones dans une étude de terrain. Les attitudes défavorables envers le voile islamique ont antérieurement été liées à des comportements négatifs envers les Musulmans (Unkelbach, Forgas, & Oenson, 2008). Donc, dans la mesure où les Québécois francophones endossent des attitudes négatives envers les Arabes musulmans, leur comportement envers les femmes qui portent le voile islamique devrait être concordant avec de telles attitudes négatives. Une façon plus subtile de mesurer les attitudes envers le voile islamique est le comportement d'aide intergroupe (Gaertner & Dovidio, 1986; Hendren & Blank, 2009). Un nombre important d'études sur le comportement d'aide a démontré que 1) les individus sont plus susceptibles d'aider des membres de leur propre groupe (endogroupe) que des membres d'un autre groupe (exogroupe; Dovidio, Gaertner, Validzic, Motoka, Johnson, & Frazer, 1997) et 2) que plus le coût de l'aide augmente, plus le comportement d'aide diminue (Dovidio, 1984). Lorsque le coût est bas, l'appartenance à l'endogroupe ou à l'exogroupe est moins susceptible de prédire le comportement d'aide intergroupe. Par contre, lorsque le coût de l'aide est élevé, la catégorie d'appartenance de l'aidé ainsi que celui de l'aidant est plus susceptible de prédire le comportement d'aide intergroupe. Basé sur ces principes d'aide intergroupe, l'étude de terrain comportait deux étapes expérimentales. Tout d'abord, 323 étudiants francophones québécois se sont fait aborder au hasard par une expérimentatrice habillée en tenue occidentale, portant le hijab ou portant le niqab. L'expérimentatrice leur a demandé des directions pour se rendre à la librairie universitaire, soit en français soit en anglais (coût d'aide peu élevé; étape 1). Ensuite, une complice habillée en tenue occidentale a approché les mêmes participants et leur a demandé en français s'ils pouvaient remplir un questionnaire de deux pages qui comprenait entre autre l'ÉACA (coût d'aide élevé; étape 2). Les résultats ont démontré que les orientations d'acculturation des étudiants québécois francophones sont demeurées stables peu importe la langue ou l'habillement de l'expérimentatrice. De plus, les résultats ont démontré que presque tous les participants (96%) ont convergé vers l'anglais, alors que tous ont indiqué le chemin à l'expérimentatrice, peu importe sa tenue vestimentaire. Donc, lorsque la demande d'aide avait un coût peu élevé, tous les participant ont aidé et ce, peu importe la langue ou l'habillement religieux de l'expérimentatrice. Tel que prévu, lorsque le coût de l'aide a augmenté (étape 2), les participants ont aidé les membres de l'endogroupe plus que les membres de l'exogroupe. En ligne avec les attitudes défavorables des Québécois francophones envers les femmes qui portent le voile (étude 1), les participants ont moins aidé la complice lorsque l'expérimentatrice portait le hijab (52%) que lorsqu'elle portait une tenue occidentale (65%). Cependant, contrairement aux attentes, les participants ont aidé la complice en remplissant le questionnaire plus souvent lorsque l'expérimentatrice portait le niqab (87%) que lorsqu'elle portait le hijab (52%) ou la tenue occidentale (65%). Ces résultats peuvent être dû en partie à l'effet du contre-stéréotype étant donné que l'expérimentatrice était une femme éduquée et indépendante. Une explication alternative tient au racisme aversif (aversive racism, Gaertner & Dovidio, 1986), selon lequel les individus sont plus susceptibles d'exprimer leurs préjudices et à discriminer dans une situation ambigüe, où les attitudes ou comportements défavorables sont moins susceptibles d'être justifiés sur des bases raciales, qu'une situation non-ambigüe où les attitudes ou comportements peuvent être clairement interprétés comme discriminatoires (Hodson, Dovidio, & Gaertner, 2009). Au Québec beaucoup plus de femmes portent le hijab que le niqab. Donc, refuser de remplir un questionnaire distribué par la complice d'une expérimentatrice portant le hijab pourrait être une situation ambigüe permettant aux participants de moins se soucier que leur comportement soit interprété comme étant discriminatoire. Cependant, la rareté des femmes portant le niqab au Québec (30 au total) peut avoir accentué la saillance de cette appartenance religieuse et fait en sorte que le refus d'aider la complice de l'expérimentatrice portant le niqab entraîne une certaine préoccupation d'être jugé ou accusé de comportements discriminatoires. En résumé, alors que les attitudes (étude 2) et les comportements d’aide (étude 3) des Québécois francophones ont été affectés par la présence d'une femme portant le voile islamique, l'endossement des orientations d'acculturation quant à elle est demeurée stable. Ces résultats suggèrent que les orientations d'acculturation sont plus près d'une croyance profondément intégrée que les attitudes ethniques, qui sont plus superficielles et malléables. En ce qui a trait aux attitudes plus favorables envers les arabes musulmans (étude 2) et l'augmentation du comportement d'aide (étude 3) des Québécois francophones en présence d'une femme qui porte le niqab en comparaison avec une femme qui porte une tenue occidentale, deux explications ont été suggérées : celle du contre-stéréotype et celle du racisme aversif. Puisqu'aucune d'entre elles expliquent entièrement les résultats contre-intuitifs obtenus, des études futures devraient explorer davantage ces deux hypothèses. Enfin, les résultats des études de cette thèse, en ligne avec l'Hypothèse du contact d'Allport (1954; Pettigrew & Tropp, 2006), semblent indiquer que même un faible niveau de contact avec une femme qui porte le voile islamique est suffisant pour améliorer ou du moins neutraliser les attitudes négatives de la majorité d'accueil envers les femmes musulmanes au Québec. ______________________________________________________________________________ MOTS-CLÉS DE L’AUTEUR : acculturation, orientations d'acculturation, voile islamique, hijab, niqab, Arabes musulmans, communauté d'accueil, contre-stéréotype, racisme aversif

Type: Thèse ou essai doctoral accepté
Informations complémentaires: La thèse a été numérisée telle que transmise par l'auteur
Directeur de thèse: Bourhis, Richard
Mots-clés ou Sujets: Acculturation, Attitude, Francophone, Musulmane, Racisme, Stéréotype, Voile islamique, Québec (Province)
Unité d'appartenance: Faculté des sciences humaines > Département de psychologie
Déposé par: Service des bibliothèques
Date de dépôt: 19 avr. 2011 20:16
Dernière modification: 01 nov. 2014 02:18
Adresse URL : http://archipel.uqam.ca/id/eprint/3814

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