Une maladie du sens? : individu et société dans les représentations scientifiques des troubles alimentaires

Godin, Laurence (2016). « Une maladie du sens? : individu et société dans les représentations scientifiques des troubles alimentaires » Thèse. Montréal (Québec, Canada), Université du Québec à Montréal, Doctorat en sociologie.

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Résumé

Dans les années 1970, l'anorexie mentale a fait une entrée fracassante dans l'espace public, suivie de près par la boulimie, dont on se préoccupe depuis les années 1980. Assez rapidement, on attribue à ces deux troubles une origine sociale. Seulement, on peine à l'identifier et à la comprendre. Un sentiment d'urgence se développe et la nécessité de faire sens de ces phénomènes s'impose. Il faut dire que les rumeurs d'une épidémie de troubles alimentaires courent depuis plusieurs années déjà, laquelle est perçue comme une preuve qu'ils sont bel et bien des conséquences directes des traits dominants de nos sociétés. Or, de l'expérience psychologique de l'anorexie et de la boulimie jusqu'à la production de données épidémiologiques sur la question, elles se donnent comme un défi à la connaissance. Les représentations courantes des corps anorexiques et boulimiques ne sont pas étrangères à ce phénomène. Non seulement les corps hors-normes représentent, à bien des égards, les limites du social normal et acceptable, mais ils revêtent aussi une signification morale. De ce point de vue, l'anorexie et la boulimie semblent jeter un pavé dans la mare du lien social. En conséquence, les discours sur la dimension sociale des troubles alimentaires encapsulent nécessairement un ensemble de représentations de l'individu, du lien social et de la relation qui les unit. Ces idées en tête, j'ai mené une analyse des différents discours scientifiques sur la dimension sociale des troubles alimentaires. Quatre grands courants ont été étudiés : l'analyse psychiatrique et biomédicale, l'approche par la famille et la psychanalyse, la saisie par le social rattachée, entre autres, aux gender studies et, finalement, les développements récents en neurosciences cognitives et sociales. Dans cette littérature, on voit émerger une critique en deux temps du rapport à la norme : d'un côté, la norme serait intrinsèquement problématique et porterait la pathologie en germe. De l'autre, anorexiques et boulimiques souffriraient de trop y adhérer et ne sauraient pas se placer à distance des significations qui organisent la vie en société. Les troubles alimentaires seraient, de ce point de vue, une maladie du sens. Avec l'émergence des neurosciences, on voit s'opérer une reformulation de la question du social dans les troubles alimentaires. En délaissant les significations au profit des processus cognitifs et neuronaux, les neurosciences abandonnent la recherche de potentielles causes sociales pour plutôt étudier l'expérience que font les femmes anorexiques et boulimiques d'elles-mêmes et de leur environnement, les biais cognitifs qui organisent cette expérience et les conséquences de ces biais sur les interactions quotidiennes. Si la psychologisation de la vie sociale est au nombre des préoccupations actuelles de la sociologie, l'analyse de l'expérience du social à partir des processus neuronaux déplace le regard. On n'interprète plus seulement les difficultés individuelles en termes de vulnérabilité psychologique, mais aussi à partir de défauts biologiques. Ce récit émergent a pour effet de situer le problème à distance de l'individu, dans la mesure où la biologie est comprise comme un impondérable sur lequel il n'a que peu de prise, mais aussi de l'inscrire au plus près de son corps, dans sa chair même. Ironiquement, le corps tel que vécu et ressenti est le grand absent de la littérature sur la dimension sociale des troubles alimentaires. Or, il semble que son inclusion dans l'analyse permet de contourner les pièges inhérents à la lecture de l'anorexie et de la boulimie à partir du sens, qui pose nombre de difficultés épistémologiques. De ce point de vue, je propose d'opérer une distinction entre le moment déviant et le moment pathologique de la maladie mentale. Le moment déviant se rattache ici aux normes sociales et à leur transgression, essentielle au processus d'identification et de définition d'un trouble mental. Le moment pathologique serait plutôt à comprendre à partir d'une expérience du corps, des émotions et des sensations qui lui serait propre. Il s'agit ici de désenclaver l'analyse pour qu'elle sorte du seul domaine du « mental » et s'ouvre à ces éléments essentiels de la vie subjective que sont le corps et ses affects. Ce faisant, la sociologie de la santé mentale serait mieux outillée pour rendre compte de la relation indéfectible qui unit l'expérience intime et subjective d'un trouble mental et son caractère toujours social. ______________________________________________________________________________ MOTS-CLÉS DE L’AUTEUR : troubles alimentaires, santé mentale, corps, normes sociales, problèmes sociaux.

Type: Thèse ou essai doctoral accepté
Informations complémentaires: La thèse a été numérisée telle que transmise par l'auteur.
Directeur de thèse: Otero, Marcelo
Mots-clés ou Sujets: Troubles du comportement alimentaire -- Aspect sociologique / Anorexie / Boulimie / Image du corps / Normes sociales / Santé mentale -- Aspect sociologique
Unité d'appartenance: Faculté des sciences humaines > Département de sociologie
Déposé par: Service des bibliothèques
Date de dépôt: 13 sept. 2016 15:25
Dernière modification: 13 sept. 2016 15:25
Adresse URL : http://archipel.uqam.ca/id/eprint/8841

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